En marge de son intervention sur les questions d’évaluation lors de l’événement de la COFAC le 20 janvier 2007 au Palais Brongniart, Jean-Michel LUCAS, alias Docteur Kasimir Bisou, maître de conférence à l’Université de Rennes 2 Haute-Bretagne et ex-directeur DRAC Acquitaine, nous a laissé une analyse des documents produits autour de la LOLF, des indicateurs et de l’évaluation. Après s’être plongé dans le texte, après avoir péniblement décodé leurs sous-entendus, on peut affirmer, sans risque d’être contredit, que les associations culturelles n’existent pas. Analyse à télécharger.
LOLF, indicateurs de performance et évaluation : la politique culturelle en porte à faux
LOLF, indicateurs de performance et évaluation : la politique culturelle en porte à faux
La Cofac s’interroge sur les dispositifs d’évaluation qui seraient véritablement adaptées aux associations culturelles. Ce doute est légitime : la pertinence de l’évaluation des actions culturelles réalisées au nom du service public est loin d’être évidente.
Pour autant, ce doute ne peut pas conduire à un refus de principe condamnant toute évaluation. Dès lors que les acteurs culturels agissent au nom de l’intérêt général, le principe de l’évaluation s’impose et ce depuis longtemps (confer Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789, article 14). Des raisons pragmatiques militent également pour que le monde des associations culturelles se préoccupe d’évaluation et adopte une stratégie adaptée pour engager des négociations sur ce vaste sujet.
De toute façon, il ne sert à rien de contester la LOLF en 2007, la loi est votée depuis 2001. L’enjeu est plutôt de négocier, dans le court terme, des dispositifs d’évaluation qui puissent prendre en compte la complexité qui est associée aux situations vécues par les associations culturelles. Pour faire vite, il faut prendre le cadre de la LOLF tel qu’il est et en tirer le meilleur parti.
Après une illustration très convaincante sur des indicateurs sur l’information des femmes sur leurs droits(lisez intégralement le texte de J.M Lucas !), le bon docteur démontre que l’indicateur quantitatif n’est pas gênant quand les protagonistes se montrent capables d’associer, à chaque action, des valeurs communes de qualité à respecter. Autrement dit, l’indicateur de performance qualitatif n’a pas de valeur évaluative en soi. La vraie question devient : quels acteurs se sont mobilisés pour dégager un accord qui permet d’obtenir un indicateur qui ne se substitue pas à l’appréciation qualitative des actions réalisées par les associations?
La loi de finances rappelle explicitement ce principe. Pour mener cette action, l’Etat s’appuie sur des associations qui, au sein d’un « réseau national », partagent « des principes déontologiques ainsi que des principes de fonctionnement ».
Tirons les conséquences de cette lecture de la loi.
Pour réussir une évaluation, la loi revendique qu’il faut privilégier la négociation sur la directive, la co-construction sur la labellisation arbitraire de l’administration.
Cela permet de se débarasser de l’angoissante question des indicateurs quantitatifs chargés de mesurer des actions qualitatives : quand les conditions de la co-construction sont réunies, les indicateurs n’ont pas d’autres valeurs que celles que les acteurs leur ont donné. Les indicateurs perdent leur dangerosité. Dans le cas contraire, l’indicateur est une imposture. Si on se laisse fasciner par le pouvoir magique d’indicateurs mal négociés, on sombre dans la caricature de l’évaluation de la performance. Il y a, alors, toute raison d’avoir peur.
Les parlementaires eux-mêmes invitent d’ailleurs à la prudence. Le rapport du Sénat sur la loi de finances montre la nécessité d’organiser de larges concertations (« la contribution de la société civile au développement de l’évaluation des politiques publiques ne doit pas être négligée »). Par ailleurs, il est exprimé qu’aucun indicateur n’est à l’abri de la critique et que l’essentiel est de pouvoir en discuter librement.
Ainsi une bonne évaluation des missions publiques n’est pas un catalogue d’indicateurs, avec une liste de questions et des cases à cocher pour les réponses. C’est d’abord une forte mobilisation des acteurs autour des discussions publiques qui concernent, aussi, les valeurs et objectifs.
C’était d’ailleurs, à l’origine, la vocation de la LOLF de mobiliser les acteurs dans un « dialogue soutenu matérialisé par plusieurs allers et retours avec les structures qui sont les opérateurs de programme ».
Ouf ! Le vrai sens de l’évaluation n’est pas de remplir des colonnes de chiffres : il est d’abord de débattre du « sens » de l’action publique et de ses traductions concrètes.
Dans ce contexte de co-construction, comment les associations culturelles peuvent-elles se positionner?
A la lecture des programmes d’actions relatifs à la culture, dans la loi de finances 2007 lolfée, après avoir péniblement décodé les sous entendus, on peut affirmer sans risque d’être contredit que les associations culturelles n’existent pas.
Nulle part, sauf, peut-être, pour les associations qui s’occupent des chantiers de restauration du patrimoine et de la diffusion de la lecture, la notion d’association n’est inscrite dans un dispositif de co-construction. Ainsi, l’association ne recouvre qu’un statut juridique. En termes de politique culturelle, l’association n’est pas porteuse de valeurs culturelles autonomes avec laquelle il serait souhaitable de partager des objectifs et des finalités.
Kasimir Bisou décrypte ensuite la vision des associations dans ce projet de loi :
- l’association vue comme un simple statut juridique, permettant de gérer des activités sous le régime de la loi de 1901.
- au terme d’association, est préféré le terme « structure subventionnée »
- pour l’intérêt général, pour la République, il n’y a qu’une seule « offre culturelle » qui soit valide. Cette « offre culturelle » ne peut provenir que des structures artistiques sélectionnées par le ministère (lisez le document in extenso, c’est écrit !)
- réduction de la culture à l’offre pré-sélectionnée par le décideur public (au moment où le parlement vote, à l’unanimité, la loi de ratification des principes de l’Unesco concernant la « Diversité Culturelle »)
- valeurs de la pratique artistique en amateur pensées que par le prisme des valeurs des structures professionnelles pré-sélectionnées par le Ministère.
Au final : pas d’argent, pass d’objectifs,pas d’indicateurs, pas de dispositifs communs. Aucune volonté politique de co-construction, l’aumône, peut-être !
La messe est dite : aucune dispositif institutionnel de co-construction n’est revendiqué comme condition de la performance !
L’idée même d’intérêt général est strictement associée à des dispositifs clos dont les valeurs ne sont pas mises en débat. Lorsqu’il y a contrat ou convention, c’est uniquement parce que l’association répond aux valeurs énoncées par les services de l’administration culturelle; Encore et toujours dans le modèle du « label ».
On finit par comprendre que l’heure de la co-construction culturelle n’a pas encore sonné, dans le monde de la politique culturelle.
Toutes les illustrations de Kasimir Bisou nous permettent de constater que la politique culturelle publique suit une voie qui n’est pas en phase avec les finalités même de la LOLF.
Faut-il pour autant désespérer?
Jean-Michel Lucas conclut sur une note optimiste :
- Il existe des acteurs culturels associatifs capables de formaliser sans honte, ni complexe, la valeur culturelle de leur activité, comme le font actuellement les acteurs des musiques actuelles.
- Ce mouvement collectif dispose d’une arme à haute légitimité fournie par l’arsenal de la « Diversité Culturelle »
- Il reste à ce mouvement collectif, autour d’une charte commune, à solliciter le Parlement, pour que, dans la prochaine loi de finances, il soit clairement mentionné un programme de politique culturelle co-construit dans ses valeurs, ses finalités, ses objectifs et ses indicateurs de performance et non pondu dans le dos des citoyens et de leurs associatons, par une assemblée d’experts réunis dans le secret.
Ce n’est pas un rêve. C’est tout simplement l’application élémentaire, et sans détour archaique, de la philosophie d’une politique performante, nourrie de la vitalité des acteurs, celle de la LOLF.
LOLF, indicateurs de performance et évaluation : la politique culturelle en porte à faux
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